QUESTIONS DHISTOIRE
Notre entretien avec
Jean-Pierre Rioux
5/ Quels sont pour vous les lieux les plus emblématiques de lHistoire de France ?
Je ne suis jamais indifférent à ladjectif « emblématique », tout en cherchant à comprendre pourquoi tel ou tel « lieu de mémoire » est devenu emblématique. Et jai réagi rageusement lautre semaine, comme tant et tant de Français, face à lArc de Triomphe taggé ou à limage de Simone Veil assassinée par une croix gammée.
Jai beaucoup uvré en pleine conscience de tout cela à Brive, à Verdun, à Strasbourg, aux Invalides ou à Nanterre
Je crois aussi, dur comme fer, que nous ne sortirons un jour de nos difficultés « identitaires » quà condition que chacun dentre nous, corps et âme, élise et cultive ses propres lieux de mémoire, ceux qui lui ont permis et lui permettent daller à la rencontre de lAutre. Origines familiales, souvenirs denfance, foyers dengagements civiques, tous nationaux ou immigrés peu importe : il sagit dentretenir les lieux qui lont enraciné à la fois en lui-même et dans son rapport à la collectivité. Pour ma part, de souche limousine et villageoise, petit corrézien devenu piéton de Paris, historien plutôt dispersé mais plein de paysages et de rencontres, je crois avoir conservé ce bagage, indispensable pour uvrer dans la Cité. Je récite, sans désemparer, La composition française de Mona Ozouf.
6/ Etes-vous daccord avec lexpression « roman national » souvent employée pour désigner lHistoire nationale ?
Non. Cest une expression biaisée et inutile, non attestée historiquement, indûment attribuée à Pierre Nora. Et qui dispense de réfléchir intelligemment ceux qui, précisément, ne veulent ou ne peuvent pas réfléchir intelligemment, sereinement et utilement au devenir national. Pour moi, il faut la prohiber, ou la manier avec de très fortes pincettes.
7/ Quelle place pensez-vous que lHistoire de France peut tenir aujourdhui dans la vie des
Français ?
Éminente, comme un feu qui passe toujours de lorange au vert. Mais pas exclusive, cest évident, au vu des épreuves que traverse de notre nouveau siècle redevenu dangereux et délétère. Détailler cette remarque personnelle en termes denseignement de lhistoire pour tous et de recherche pertinente et rendue à la collectivité, mériterait un autre entretien. Mais, comme celui-ci, il ne serait en aucun cas désespéré.
8/ Seriez-vous toujours favorable à la création dun Musée spécifiquement dédié à lHistoire de France ? Si oui, où et pourquoi ?
De 2008 à 2012, jai accompagné un processus présidentiel et jai pu imposer, avec bien des amis et sans le secours de ce quon nomme abusivement la « collectivité » des historiens de métier, que ce « musée » devienne une « maison » commune : je men explique dans Vive lhistoire de France. Nous avions abouti, létablissement public allait sortir de terre, les équipes étaient en place et bien vaillantes. Mais hélas, dès lété 2012 un nouveau président, une nouvelle majorité, une nouvelle ministre de la Culture ont dit « niet » abruptement et sans débat public, pour gommer au plus vite laction de leurs prédécesseurs.
Un projet de ce type ne renaîtra pas. Cest dommage et dommageable, en létat de nos ébats et nos débats nationaux. Sauf si, un jour, qui sait, il était jugé utile et opportun dinventer à nouveau... Toujours cette affaire de bien commun, toujours ce questionnement auquel jai eu honneur et plaisir à participer de toutes mes modestes forces depuis tant dannées : à quoi nous sert lhistoire et, partant, lhistoire de la France, hier pour demain ?
Propos recueillis en février 2018 par Hervé Luxardo et Gilles Ragache,co-fondateurs de Clefs Pour lHistoire de France.