Claude Quétel "Crois ou meurs ! Histoire incorrecte de la révolution française."
Tallandier Perrin (2019 ). 21.90 euros.
Tout comme Evelyne Lever, Claude Quétel, ancien directeur de recherche au CNRS, considère qu'il est plus que nécessaire de relire la Révolution française. A ce sujet, il en a donc écrit une nouvelle histoire, sans tabou. L 'initiative est courageuse et originale. Déjà, dans le titre, l'auteur annonce ses convictions ; par un étrange retournement des choses la Révolution française qui, pendant des décennies a été présentée dans l'historiographie comme l'aboutissement du progrès de la Raison, ne serait que l'invention d'une nouvelle foi religieuse : celle de la Révolution elle-même. C'est le sens du titre choisi : "Crois ou meurs !". Contrairement à de nombreux historiens héritiers des traditions républicaines et marxistes, Claude Quétel considère que les violences révolutionnaires et les abominations faites au nom du Peuple sont inhérentes aux idées de régénération de l'humanité. D'où le projet de prendre l'histoire des événements révolutionnaires depuis 1789 et d'en dénoncer les fautes et les erreurs. D'une certaine manière Claude Quétel fait sienne la formule de Clemenceau (voir sur notre site l 'article sur la pièce de théâtre Thermidor de Victorien Sardou) qui considérait que la Révolution devait être prise comme " un bloc "... mais c'est pour mieux la dénoncer. Il remet donc en cause toute la période sans sauver "le drapeau de 1789et les Droits de l'Homme". Il reste que Claude Quétel n'écrit pas pour autant une histoire contre-révolutionnaire comme cela a été fait tout au long du 19ème siècle.
Dans un premier chapitre lumineux intitulé "Le poison du philosophisme" Claude Quétel nous rappelle que l'idée des Droits de l'Homme n'est pas une idée neuve en 1789 puisqu'elle est née avec le christianisme, puis est présente dans la Déclaration d'Indépendance américaine de 1776. Pour mieux faire comprendre sa démarche, il nous décrit le monde des Philosophes des Lumières épris d'esprit critique, vouant un culte à la Raison et à l'Égalité ; une idée chère aux"Utopiens" inventés par Thomas Moore au 16ème siècle. Il passe ainsi en revue les systèmes de pensée de Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Condillac, Diderot, Mably... qui, tous, bâtissent un "homme idéologique", un être artificiel coupé des réalités. Il y voit l'origine du jacobinisme et de "la pensée unique" où toute critique de cette philosophie est rejetée car elle serait "l'ennemie du Progrès", donc... de l'Humanité. Ainsi un auteur dramatique du nom de Palissot, pourtant partisan de Voltaire, qui a osé se moquer des Philosophes voit les directeurs des théâtres parisiens lui refuser ses pièces... Certains Philosophes comme d'Alembert n'hésitent pas à s'adresser à Malesherbes, chef de la censure royale, pour faire taire un journaliste qui avait osé le contester.
Au fil des événements qu'il décrit avec force de détails, Claude Quétel débusque les tendances autoritaires des idées révolutionnaires. Étudiant le "vrai visage de l' Assemblée Constituante", il y remarque qu'au printemps 1789 le député du Tiers Maximilien de Robespierre publie un pamphlet où, déjà, il voit des "ennemis" partout et où il s'érige "en martyr, défenseur du peuple". Dès cette période le côté "religieux" s'accentue. Les débats parlementaires se ferment peu à peu à l'esprit de tolérance. Le côté droit de l'Assemblée (favorable à la royauté historique) est mis dans l'impossibilité de se faire entendre quand la foule des spectateurs acquis aux Patriotes, situés sur le côté gauche, hue leurs orateurs. On écrit aussi des lettres menaçantes contre les députés modérés. Quant à ceux qui contestent le côté gauche ils sont "inévitablement classés parmi les ennemis du bien public"... Les députés qui "votent mal" (le vote secret a été refusé) sont menacés de mort et leurs noms sont affichés dans les rues. Selon le député Mallet du Pan "l'opinion dicte ses arrêts. Crois ou meurs!" Voilà "l'anathème que prononcent les esprits ardents". C'est toute la problématique qui va conduire au régime de la Terreur. Dans 1789, il y a déjà 1793. Oui, il est vrai que pour Claude Quétel la Révolution française est "un bloc". Mais ce n'est pas celui théorisé par Georges Clemenceau... Un livre fécond qui a le mérite de remettre en question bien des certitudes.