A propos des ingérences américaines en France (1945-1970)
L’intervention des Etats-Unis dans la politique intérieure française n’est pas vraiment chose nouvelle. Dès 1918, le président Wilson ne s’est pas privé d’intervenir dans les négociations destinées Ă mettre fin au premier conflit mondial et dans la signature des catastrophiques Traités de Versailles qui portaient sa marque et ne résolurent en rien la crise européenne née Ă l’époque.
Mais Ă l’issue du second conflit mondial, profitant de l’affaiblissement de la France dévastée par cinq ans de guerre et par des bombardements massifs (en grande partie américains), cette fois ce sont Roosevelt puis Truman qui tentent de dicter leur loi et veulent réorganiser la France et l’Europe Ă leur idée. Trois livres récemment publiés montrent Ă quel point ces interventions américaines en France furent puissantes, systématiques et continues de 1945 Ă 1970, date de la mort du général De Gaulle.
Dans le premier de ces ouvrages, L’Ami américain, Eric Branca montre que de Roosevelt Ă Johnson, les présidents successifs des Etats-Unis n’ont eu de cesse de contrer l’influence française dans le monde, et pour cela de combattre l’action du général De Gaulle (voir la note de lecture consacrée Ă ce livre sur le site de CPHF). Eric Branca met aussi en lumière le rĂ´le trouble de Jean Monet qui incite Ă la construction d’une Europe sans cesse plus large et libre échangiste, pour le plus grand bonheur des grandes firmes d’Outre Atlantique.
Le deuxième livre, écrit par Gilles Ragache et intitulé De Gaulle - L’or, le dollar et la France (1940-1970), rappelle comment les Etats-Unis n’ont eu de cesse, Ă partir des accords de Bretton Woods en 1944-45, d’imposer la suprématie du dollar Ă travers le monde et en particulier en Europe. Mais il montre aussi comment le général De Gaulle, en créant le Nouveau Franc, en rééquilibrant la balance des paiements et en assurant la souveraineté monétaire de la France, est parvenu Ă leur tenir tĂŞte. Ce que les Etats-Unis lui feront payer cher en 1968…
Enfin le troisième ouvrage, J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu, récemment publié par Philippe de Villiers, éclaire d’un jour nouveau et cruel l’action souterraine dans la « construction européenne » des Etats-Unis, qui utilisent dans ce but deux personnages clefs de cette époque en France : Jean Monet et Robert Schuman. Dans ce livre-enquĂŞte minutieux et très complet, Philippe de Villiers révèle aussi les liens forts qui existaient dès l’avant-guerre entre la grande finance américaine et Jean Monet, Ă la fois gros négociant en cognac, banquier américain et travaillant pour des banques américaines. Philippe de Villiers dépeint un Jean Monet qui, tout en donnant des leçons d’humanisme, n’hésite pas Ă trafiquer sur l’alcool pendant la prohibition (il possédait un entrepĂ´t Ă Saint-Pierre et Miquelon), et Ă créer des établissements bancaires aux USA. Il montre aussi comment il entretient alors des liens fréquents et étroits avec le Secrétariat d’Etat américain et mĂŞme avec la CIA, dans le but de favoriser une « construction européenne » conforme aux intérĂŞts et aux vues des dirigeants américains qu’il sert directement pendant des années.
Philippe de Villiers égratigne aussi au passage Robert Schuman, dont l’attitude par rapport Ă l’Allemagne fut pour le moins hésitante, ainsi que quelques dirigeants nazis recyclés par la CIA dans les institutions européennes, dont le tout puissant Walter Hallstein, promu Président de la Commission européenne alors qu’il avait été une des principales personnalités juridiques du IIIème Reich jusqu’à sa capture par les troupes américaines en 1944.
La lecture en parallèle de ces trois livres fondamentaux permet une approche complète des complexes relations franco-américaines pendant plusieurs décennies : pressions diplomatiques et politiques dans l’ouvrage d’Eric Branca, pressions monétaires et financières dans celui de Gilles Ragache, et enfin rĂ´le trouble joué par les Etats-Unis dans la « construction européenne » dans le livre de Philippe de Villiers.
Trois ouvrages Ă lire, relire et faire lire de toute urgence.
Eric Branca : L’Ami américain – Washington contre De Gaulle (1940-1969). Perrin, 2017.
Gilles Ragache : De Gaulle - l’or, le dollar et la France (1940-1970). CPHF, 2017.
Philippe de Villiers : J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu. Fayard, 2019.